Simon Cottin-Marx

La privatisation numérique. Déstabilisation et réinvention du service public (2022)

Le développement du numérique réalise une forme de privatisation qui ne dit pas son nom. Les entreprises les plus puissantes s’emparent d’activités jusqu’ici dévolues au secteur public, dans les transports, les services urbains, l’utilisation de l’espace public, la sécurité, l’éducation ou la santé. Il s’agit en fait d’une transformation des relations entre l’État et les usagers : substitution d’algorithmes aux agents publics, généralisation des mécanismes de notation, développement de l’ubérisation des tâches.

Ce processus s’adosse à des capacités d’investissement énormes qui dépassent celles des pouvoirs publics et à des monopoles détenteurs de brevets puissants.

Cette privatisation semble prendre la forme douce de dispositifs qui améliorent le quotidien. Ses effets sociaux sont pourtant considérables : elle déstabilise les entreprises et les administrations, renforce les inégalités sociales d’accès aux services et accélère la perte de souveraineté publique. Les tentatives de réappropriation des communs numériques ouvrent cependant des perspectives, notamment sous la forme d’un militantisme de fonctionnaires qui défendent la souveraineté numérique nationale.

Cet ouvrage porte au jour, derrière les sympathiques « applis » de nos smartphones, les conséquences économiques et techniques réelles de cette privatisation numérique, ainsi que les perspectives de résistance et de réinvention du service public.

Un livre publié aux éditions Raisons d’Agir, 2022.

C'est pour la bonne cause ! Les désillusions du travail associatif (2021)

Travailler pour la cause, avoir un métier qui a du sens, allier emploi et engagement : sur le papier, cela a tout du job idéal. Sauf quand ladite cause prend le pas sur tout le reste, à commencer par les conditions de travail : bas salaires, horaires extensibles, burn-out qui guette… Les associations oublieraient- elles de mettre en pratique, avec leurs propres employé·es, les valeurs qu’elles défendent ?

Avec 1,8 million de salarié·es, les associations constituent aujourd’hui un véritable monde du travail. S’appuyant sur une large enquête sociologique, l’auteur explore les spécificités de ces entreprises atypiques, prises entre travail et engagement, mais aussi soumises aux contraintes de l’État et du marché. Des contradictions qu’il est essentiel d’analyser pour redonner au travail la place qui lui convient dans cet univers particulier. Et que celui-ci reprenne tout son sens.

Un livre publié aux éditions de l’Atelier, 2021.

Sociologie du monde associatif (2019)

Depuis Alexis de Tocqueville, les sciences sociales étudient les associations comme des « écoles de la démocratie », lieux d’engagement et de participation à la vie civique. Depuis une vingtaine d’années, les chercheurs sont venus enrichir ces réflexions en abordant le monde associatif comme un acteur économique spécifique et comme un véritable monde du travail.
Cet ouvrage présente les principaux travaux de sociologie des associations et permet de saisir un univers profondément protéiforme. Quelle comparaison possible entre de petites associations de bénévoles et des mastodontes qui pèsent plusieurs millions d’euros et emploient des milliers de salariés ? Qu’ont en commun les associations de défense de l’environnement et celles du secteur sanitaire et social ?

Pour répondre à ces questions, ce livre explore l’histoire des associations, puis offre un panorama du monde associatif français. Il propose ensuite une synthèse des principaux travaux traitant du bénévolat, de la mutation des relations entre les structures « loi 1901 » et les pouvoirs publics. Il analyse enfin la particularité du travail associatif.

Un livre publié aux éditions La Découverte, 2019.

Principales activités d'enseignements

  • TD, « Accompagnement à la recherche », Manager d’organismes à vocation sociale et culturelle, Centre d’économie sociale, RNPC Niveau I, CNAM, 2018-2021. (≈42 heures/an)
  • Tutorat de mémoires, IRTS Paris & ETSUP, 2020-2021 (40 heures)
  • Tutorat, « méthode de recherche et guidance d’article  », ETSUP, 2020 (3*3 heures)
  • TD, Enquête et méthodologie d’enquête, « L’engagement des jeunes à Saint-Germain-en-Laye », 2019 (20 heures)
  • CM, « Relations entre associations et pouvoirs publics », IPEF, ENPC, Paris 8, 2015-2018. (15 heures)
  • TD, « Introduction aux sciences sociales. Portraits d’ingénieurs », ingénieurs 1ere année, ENPC, 2016. (15 h)
  • TD, « Pouvoir du Chiffre », pré-rentrée de Science Po 2014 & 2015 (FORCCAST project) ; ingénieurs 3e année, ENPC 2014. (28 heures)
  • CM, «  Les métiers de l’économie sociale et solidaire », Licence pro, Université Paris Est, 2014. (24 h)

Thèse

Professionnaliser pour « marchandiser » (et inversement). Quand l’État accompagne les associations employeuses

Thèse dirigée par Gilles Jeannot. Commencée en novembre 2013 et soutenue le 21 novembre 2016. Document disponible en ligne: https://hal.archives-ouvertes.fr/tel-01416840

 

Dans ce travail de doctorat, nous avons exploré la transformation des relations entre l’État et les associations employeuses.

Ces trente dernières années, le monde associatif s’est profondément métamorphosé. Il a notamment été marqué par une importante salarisation. Les salariés associatifs qui n’étaient que 600 000 dans les années 1980, sont aujourd’hui plus d’1,8 million. Cette dynamique à plusieurs explications. Elle est tout d’abord le résultat d’un engagement financier croissant de la part de la puissance publique. La décentralisation, et les nouveaux besoins sociaux nés des différentes crises – économique, écologique, urbaine – ont multiplié les sources et les volumes de financements à destination des associations. Elles se sont vues confier une part grandissante de la mise en œuvre de missions d’intérêt général et de service public.

Parallèlement à l’augmentation des ressources publiques, les associations ont développé, encore plus rapidement, leurs ressources privées : celles-ci représentent aujourd’hui la moitié de leur budget total.

Pour saisir les transformations des relations entre associations et puissance publique, et comprendre l’impact de ses transformations sur les associations, nous avons fait le choix d’étudier un dispositif public spécifique : le Dispositif Local d’Accompagnement (DLA).

Lancé par l’État en 2002, la mise en œuvre de ce dispositif est déléguée par appel d’offres à des structures porteuses dans chaque département et dans chaque région. Il vise à professionnaliser les associations employeuses : il les accompagne à consolider leur modèle économique et à pérenniser leurs emplois. Chaque année c’est 6 000 petites et moyennes associations employeuses qui bénéficient d’un accompagnement, tous secteurs confondus (la France compte au total 180 000 associations employeuses).

Observer les relations entre les associations et l’État par le biais du DLA est intéressant à plusieurs titres. Outre le fait qu’il est relativement nouveau et qu’il a été peu étudié :  il s’adresse uniquement aux associations employeuses. Il permet de restreindre l’étude à ces structures et à leurs problématiques gestionnaires. Ce dispositif a aussi pour intérêt d’être transversal. Il s’adresse aux associations des différents secteurs qui composent le monde associatif. Il permet au chercheur de regarder le monde associatif comme un tout, de voir ce que les associations, tous secteurs confondus, ont en commun. Enfin, le dernier avantage, est que les accompagnements mobilisent un grand nombre d’acteurs ; leur étude offre l’occasion de recueillir une multiplicité de points de vue, interne et externes, à l’association.

Nous avons utilisé ce dispositif comme une porte d’entrée pour comprendre pourquoi et comment l’État intervient sur l’emploi associatif ; pour voir pourquoi et comment les associations employeuses se transforment.

Pour répondre à ces interrogations, nous avons exploré l’histoire du DLA, sa mise en œuvre et son impact sur les associations employeuses. L’idée étant, à travers le prisme de ce dispositif, d’observer l’évolution des relations entre l’État et les associations employeuses. D’interroger le gouvernement des associations par l’État.

Notre questionnement s’inscrit dans la continuité des réflexions menées par les auteurs qui s’intéressent à la transformation des relations contractuelles entre associations, marchés et pouvoirs publics (Salamon, 1993, 1997, 2010 ; Archambault, 2012, 2013). Plus particulièrement, notre travail s’inscrit dans la continuité des travaux de la sociologie du travail associatif tel que l’ont notamment développé Matthieu Hély (2009 ; Hély & Moulévrier, 2013) et Maud Simonet (2010), mais aussi certains auteurs internationaux (Cunningham & James, 2009 ; Bach, 2012).

Dans cette perspective, il s’agit d’aborder les associations non seulement comme des lieux d’engagement, mais comme des structures productives, de travail. Il convient alors d’interroger la division du travail, la recherche d’efficacité des acteurs associatifs. Il s’agit de penser les rapports sociaux à l’intérieur des associations, de les aborder comme un monde du travail où les bénévoles sont bien,eux aussi, des travailleurs.

Pour aborder complètement la question du travail associatif, il est nécessaire de ramener l’État dans l’analyse (Evans, Rueschemeyer & Skocpol, 1985). Certains auteurs ont tendance à étudier le monde associatif comme une mobilisation intrinsèque de la société civile. Mais il nous semble que pour le saisir, il faut plutôt regarder le monde associatif comme un espace sous influence de l’État (Chevallier, 1981 ; 1986), sans pour autant le réduire à un strict instrument de politique publique sans autonomie. Ainsi, dans la perspective de la sociologie du travail associatif, il s’agit de regarder les associations au prisme des reconfigurations de l’État Providence.

Notre travail de recherche nous a amenés à tirer quatre grands enseignements.

Le premier enseignement est que l’enjeu de l’emploi remplace progressivement celui de la vie sociale dans les politiques publiques d’État vis-à-vis des associations. Nous sommes arrivés à cette conclusion en nous intéressant à l’histoire des politiques de l’emploi dans laquelle s’inscrit le DLA.

Depuis les années 70, les associations sont mobilisées dans la lutte contre le chômage. Plus celui-ci augmente, plus les associations bénéficient d’emplois aidés, c’est à dire de subventions pour embaucher (Gomel, 2006). C’est d’ailleurs ce qui explique en grande partie la salarisation (Dussuet & Flahault, 2010 qui a marqué le monde associatif ces trente dernières années.

Nous nous sommes plus particulièrement intéressés au programme « emplois jeunes » lancé par le gouvernement Jospin en 1997. Ce programme va créer plus de 200 000 emplois dans les associations. Il va aussi avoir une spécificité par rapport aux politiques de l’emploi précédentes. Ce programme ne prévoit pas simplement de subventionner des postes : il prévoit aussi de les accompagner. D’offrir du conseil aux structures pour qu’elles pérennisent les emplois une fois l’aide financière arrivée à terme.

En 2002, à la fin du programme « emplois jeunes », cette logique d’aide à l’activité va s’autonomiser. Elle donnera naissance au DLA. Un dispositif qui vise officiellement la « professionnalisation » des petites et moyennes associations employeuses.

En comparant ce nouveau dispositif étatique à destination des associations, avec ceux plus anciens portés par le Ministère en charge de la vie associative, nous avons observé que les politiques publiques de soutien à la vie associative avaient tendance à disparaître, quand à l’inverse le DLA s’est installé dans la durée et a vu ses crédits confortés d’année en année.

Pour conclure sur ce premier enseignement ; notre travail de recherche nous amène à soutenir que nous assistons à une nouvelle dynamique : l’État a tendance à s’intéresser plus aux associations pour la charge en emploi dont elles sont porteuses que pour leurs projets et leur utilité sociale.

Le deuxième enseignement de notre travail est que l’État, par le biais du DLA, gouverne les associations par l’accompagnement. Il les conduit dans un sens donné.

Tout cela est rendu possible par plusieurs caractéristiques du DLA : si le dispositif est en apparence très structuré et cadré, il est néanmoins à la fois souple, ouvert et ajusté. Il est souple parce que sa mise en œuvre est déléguée, confiée à une diversité de structures porteuses qui sont toutes différentes et inscrites dans leurs territoires. Il est ouvert, parce les chargé-e-s de mission DLA, qui mettent en œuvre quotidiennement le dispositif, ont de grandes marges de manœuvre dans leur métier. Enfin, il est ajusté, car il est mis en œuvre par des associations, pour les associations et avec des consultants qui sont souvent d’anciens associatifs.

Le DLA est aussi un dispositif privatisé (Lipsky & Smith, 1989-1990), complètement mis en œuvre par des structures de droit privé, en l’occurrence des associations. L’État semble disparaître, mais pour autant il n’est pas absent. Il reste pilote du dispositif. Il le dirige par des appels d’offres, par des comités de pilotage et par le biais d’une agence. Le DLA constitue un bon exemple de ces dispositifs nés ces dernières années, où « l’État stratège » délègue les fonctions opérationnelles mais continue d’en assurer le pilotage stratégique.

L’État fixe notamment un objectif central : l’emploi. Nous avons observé que si les chargés de mission travaillent de manières différentes, que leurs actions passent par des détours, ils partagent tous ce « souci » (Jeannot, 2005) de l’emploi. Les accompagnements peuvent concerner le modèle économique, les RH, les outils de communication ou encore le projet de la structure, etc. : mais au final c’est toujours l’emploi qui est visé. Et en accompagnant les associations, les chargés de mission les font adhérer à leur tour à cette attente de l’État.

Les accompagnements amènent en douceur, sans rien imposer, mais par l’incitation et l’adhésion, les associations à se transformer.

Le troisième enseignement de notre travail est que le DLA accompagne les associations employeuses vers la « professionnalisation contemporaine » (Boussard, 2014). Derrière ce concept, nous entendons plusieurs choses.

Tout d’abord que le DLA a un effet gestionnaire. Il implante des outils de gestion dans les associations. Ce n’est pas neutre : « enrôlés » (Boussard, 2008) par les dirigeants associatifs, cela va leurs donner une meilleure maîtrise de la structure, offrir de nouveaux outils pour mettre au travail les salariés et contrôler leurs activités.

Le DLA va aussi avoir un effet sur la structuration du travail. Il pousse les associations à respecter davantage les normes légales : notamment le droit du travail et la loi 1901. Le DLA aide les structures à clarifier la division du travail, notamment entre bénévoles et salariés. Que chacun trouve sa place et son rôle dans l’association. Cela va aussi aider le directeur à mieux travailler et à corriger ses erreurs de gestion.

Le DLA amène aussi les associations à être responsables de leurs emplois. Les emplois deviennent une finalité et non plus seulement un moyen. Pour les sauver, les bénévoles vont se mobiliser, prendre une part plus importante du travail, notamment au sein du bureau et du Conseil d’Administration. Pour les sauver, les associations vont aussi être amenées à chercher des solutions économiques. Et puisque les subventions manquent à l’appel, c’est vers le développement de ressources privées et marchandes qu’elles vont aller.

Évidemment, selon les associations, les effets sont différents. Mais globalement, elles vont mieux prendre en compte la question de l’emploi et du travail, et aller dans le sens de la « professionnalisation contemporaine ».

Le quatrième grand enseignement conclut notre thèse. Il concerne les relations entre l’État et les associations employeuses. Comme nous l’avons vu, le DLA a bien un impact gestionnaire, mais il ne faut pas en surestimer la « puissance » : il n’explique pas à lui seul la professionnalisation observée. Au final, le DLA ne fait qu’aider les associations à s’adapter à leur environnement économique et institutionnel. Il ne fait qu’accélérer leur adaptation.

Pour comprendre ce qui pousse les associations à se transformer, nous avons cherché la réponse du côté des pouvoirs publics. En les étudiant, nous avons pu voir qu’ils sont morcelés et qu’ils ont des logiques différentes et parfois contradictoires. L’incertitude marque aussi leur budget, et par ricochet celui des associations. Paradoxalement, les pouvoirs publics demandent aux associations d’être professionnelles, de faire des projections de leurs budgets sur 3 ans, mais chaque année c’est l’incertitude sur leurs propres budgets. Et cela contraint les associations dans l’instabilité et l’incertitude : c’est l’un des puissants moteurs de la professionnalisation. Et ce d’autant plus que, comme l’a montré Viviane Tchernonog (2013), les pouvoirs publics changent leurs modes de contractualisation, passent d’une logique de subvention à une logique de marché public, de mise en concurrence.

Nous défendons dans notre thèse que les pouvoirs publics sont producteurs de la « marchandisation » des associations ; les associations, pour mener à bien leurs missions et celles qui leur ont été confiées, n’ont d’autres choix que d’adopter des pratiques gestionnaires, de développer leurs ressources privées et commerciales. C’est le sens du « et inversement » du titre de la thèse : Le DLA professionnalise les associations employeuses pour les adapter en douceur à un environnement marchandisé. Mais l’inverse est d’autant plus vrai. Ce sont les contraintes du marché qui amène les associations à jouer le jeu du DLA et à se professionnaliser. Le véritable moteur de la professionnalisation contemporaine est la « marchandisation » publique – la market bureaucracy (Cunningham et James, 2014 ; Considine & Lewis, 2003 ; Sako, 1992) – de l’environnement associatif.

Liens

Principales publications disponibles sur Cairn et/ ou référencées sur HAL.

Mémoire de Master 1, Jeudi Noir ou les « nouveaux » militantsParis 8, 2008

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