Emilie Bisbau : La fabrique de la sécurité : les interactions des préventeurs et préventrices entre siège et sites

Directeurs de thèse : Pascal Ughetto et Jean-Christophe Le coze

Cette recherche portera sur les interactions des préventeur·rices exerçant dans les entreprises à risques. Notre travail d’analyse de leur activité se fera dans une perspective organisationnelle en s’interrogeant sur l’organisation de la relation entre le siège et les sites industriels ou les chantiers. Acteurs et actrices incontournables de la sécurité, ils pratiquent leur activité dans des contextes marqués par une montée des normes, des standards et des process et donc par une bureaucratie (au sens sociologique) de plus en plus forte, particulièrement dans les installations classées pour la protection de l’environnement (ICPE). Il s’agira ici de questionner comment dans cet univers fortement réglementé et empreint de bureaucratie ils peuvent construire, déployer et animer une politique de prévention et d’anticipation mêlant à la fois une sécurité réglée et une sécurité gérée. Dans un environnement de travail de plus en plus règlementé, les préventeur·rices voient une montée de bureaucratie qui tend à créer dans leur activité un fossé entre une sécurité du travail et une sécurité opérationnelle (Rae & al., 2019), qui peut pour certains professionnels contribuer au renforcement d’un certain « blues » dans leur pratique (Le Coze, 2024). La tendance des organisations à tenter de régler par anticipation et formellement les exigences multiples qu’elles se donnent ou qui sont imposées (objectifs économiques ambitieux, contraintes réglementaires, vigilance face aux risques s’étendant désormais y compris à la cybersécurité) favorise la production de standards qui pose la question de l’articulation avec les situations propres aux sites. Quelle conciliation possible avec les contextes spécifiques aux sites ? Comment arbitrer entre les normes centrales et les contraintes et enjeux des sites en tant que préventeur·rices ? Notre sujet nous place à la croisée de plusieurs types d’apports classiques de la sociologie, et des sciences sociales plus généralement : l’analyse des organisations, de leurs dynamiques et en particulier des relations d’acteurs, l’analyse de l’activité, l’analyse des dynamiques de métier et des identités professionnelles. Nous situerons notre approche à ce croisement, en arrimant l’enquête à une analyse de l’activité des professionnels de la prévention dans un champ multidisciplinaire et marqué par la safety science (Le Coze, 2019). L’entreprise choisie comme terrain d’enquête est une industrie à hauts risques. De façon appropriée au sujet de la thèse et à notre problématique, elle se trouve avoir mis en place une réorganisation dans le but, entre autres, de décentraliser l’activité de ses préventeur·rices du siège afin de les rapprocher des sites. Ce changement organisationnel constitue un terrain particulièrement adapté à la compréhension de ce qui se joue dans le métier de préventeur du point de vue des interactions entre siège et sites. Il a également l’avantage de révéler potentiellement les transformations qui seront opérées en termes de représentations de leur pratique et du métier plus généralement ou encore de la construction et l’application des règles. Avoir accès à une structure en mouvement et la suivre grâce à une approche ethnographique, c’est aussi voir comment la fabrication de la sécurité peut être amenée à évoluer. Ce sera l’occasion de se demander si cette décentralisation a permis un nouveau type de structuration permettant la création de lieu(x) d’échanges, d’espace(s) de communication afin de mutualiser les éléments à remonter au siège. On pourra se demander si les préventeur·trices ce sont saisi·es de ce changement pour influencer des normes (Gherardi, 2019). On pourra observer si d’autres outils ou espace(s) ont été déployés pour descendre des informations de manière uniforme à des sites aux caractéristiques très différentes.

Mots-clefs : Préventeur, Sécurité, Interaction, Activité, Sociologie, Bureaucratie

The making of safety: safety professionals’ interactions between headquarters and production sites

This research will focus on the interactions of safety professionals working in high-risk companies. Our analysis of their activities will be carried out from an organizational perspective, focusing on the organization of relations between headquarters and industrial sites or worksites. As key players in the field of safety, they carry out their activities in contexts marked by an increase in norms, standards and processes and a growing bureaucracy (in a sociological sense), particularly in “installations classées pour la protection de l’environnement” (ICPE). In this highly regulated and bureaucratic environment, we’ll be looking at how they can build, deploy and lead a prevention and anticipation policy that combines regulated and managed safety. In an increasingly regulated work environment, safety professionals see a rise in bureaucracy that tends to create a gap in their activity between “safety of work” and “operational safety” (Rae & al., 2019), which for some professionals can contribute to the reinforcement of a certain “blues” in their practice (Le Coze, 2024). The tendency for organizations to attempt to formally regulate, in advance, the multiple requirements they set themselves or which are imposed on them (ambitious economic objectives, regulatory constraints, vigilance in the face of risks now extending to include cybersecurity) encourages the production of standards, which raises the question of how they can be reconciled with site-specific situations. How can standards be reconciled with site-specific contexts? How can we arbitrate between central standards and site-specific constraints and issues? Our subject places us at the crossroads of several types of classic contributions from sociology, and social sciences more generally: analysis of organizations, their dynamics and in particular relations between professionals, analysis of activity, analysis of job dynamics and professional identities. We will situate our approach at this crossroads, linking the survey to an analysis of the activity of safety professionals in a multidisciplinary field marked by safety science (Le Coze, 2019). The company chosen as our field of investigation is a high-risk industry. It has implemented a reorganization with a main aim of decentralizing the activities of its head office safety professionals to bring them closer to the production sites. This organizational change is particularly well-suited to understanding the interactions between headquarters and sites in the safety profession. It also has the advantage of potentially revealing the transformations that will take place in terms of representations of their practice and the profession more generally, as well as the construction and application of rules. Having access to a structure in motion and following it through an ethnographic approach also means seeing how the manufacture of safety can be made to evolve. This will provide an opportunity to ask if this decentralization has led to a new type of structuring, allowing for the creation of exchange point(s) and communication space(s), so as to pool the information to be passed on to head office. We might ask whether prevention specialists have taken advantage of this change to influence standards (Gherardi, 2019). We can also observe whether other tools or space(s) have been deployed to disseminate information in a uniform way to sites with very different characteristics.

Keywords : Safety professiona, Safety, Interaction, Activity, Sociology, Bureaucracy

Année d’inscription : 2024
Ecole doctorale : Organisations, marchés, Institutions (OMI)

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