Pascal Ughetto, Philippe Askenazy et Frédéric Garcias, avec Gilles Jeannot, Juliette Ducoulombier, Nicolas Klein, Anne-Sophie Maillot, Jean Tharotte
Rapport pour un groupe de travaux publics, direction de la Prévention, mars 2019.
La recherche visait à comprendre les mécanismes par lesquels des politiques d’entreprise en matière de sécurité et santé au travail produisent leurs effets en termes de sinistralité comme de performances économiques, mais également butent sur des limites qui peuvent, à ce jour, rester relativement énigmatiques pour les acteurs. Elle a été le fait d’une équipe pluridisciplinaire (économie, ergonomie, gestion et sociologie) et a consisté à combiner une approche qualitative et des analyses quantitatives. La politique de prévention du groupe s’est dotée de nombreux outils, qui traduisent la volonté d’organiser la sécurité : informer et sensibiliser aux risques, les répertorier pour mieux les éviter, lutter contre les prises de risques. Cela comprend une base de données de presqu’accidents et divers dispositifs de sensibilisation et d’incitation. Un réseau de professionnels qualité, prévention, environnement (QPE) constitue une composante à part entière de cette politique. La politique de prévention du groupe mise explicitement sur la conviction de la ligne managériale à ses différents niveaux, considérant que, sans une conviction intime de l’enjeu de la prévention de la part des managers, une politique de groupe serait dépourvue de réels leviers.
La recherche a fait apparaître plusieurs constats et résultats. Autant qu’un effet des individus, et en particulier de la capacité des chefs d’agence à prendre à leur compte cette politique et à y montrer leur attachement, le déploiement effectif des outils est un effet des cadres de raisonnement économique. Même avec un encadrement très convaincu, les considérations économiques peuvent reprendre le dessus : cela peut s’observer en cas d’urgence sur un chantier ou pour obtenir un contrat tout en sachant que le commanditaire n’est pas sensible à la prévention. Dans l’entreprise comme dans d’autres de ce secteur, les indicateurs, le pilotage gestionnaire des agences et du groupe, placent de fait la prévention en juxtaposition de l’économique. Tout en étant informés et sensibilisés aux outils de la politique de prévention, les ouvriers ont à cœur de faire état de situations où cette politique semble céder devant des impératifs plus forts, comme la rapidité d’achèvement d’un chantier, le rattrapage de retards accumulés, etc. Décisive, la programmation de chantier intègre la prévention d’abord en termes administratifs. La programmation, d’abord construite à partir de l’étude et des coûts facturés, porte le souci d’accorder la réalisation avec le respect de l’enveloppe économique. Elle laisse largement au chantier et à sa gestion la régulation face aux conditions concrètes. Or, les réalités de chantier sont marquées par caractère normal de l’aléa, la récurrence des temps morts et des urgences. Pour la hiérarchie de chantier, directement impliquée dans les situations concrètes où doit se régler la tension entre l’économique et la prévention, il n’y a rien de simple à incarner et porter les dispositifs de prévention de façon crédible. Les QPE ont également un chemin compliqué à trouver pour se positionner dans l’articulation entre une politique dont les règles sont formulées dans l’abstrait et les situations concrètes, qui mettent au défi la compatibilité entre l’économique et la prévention.
Mots-clés : Santé et sécurité au travail. Prévention des risques et des accidents. Travaux publics. Outils de gestion des risques professionnels.