Les multiples acteurs de la normalisation : étude exploratoire et le cas du bâtiment

avec la collabration de Lionel Cauchard

Cette étude exploratoire vise à rendre compte de la multiplicité et de la diversité des acteurs de la normalisation, de manière générale et en particulier dans le secteur du bâtiment. Le terme « normalisation » y est pris au sens large : il concerne tant les acteurs qui fabriquent les normes que ceux qui sont chargés de la certification (de produits, de processus, …) à ces normes ou référentiels, ainsi que ceux qui sont chargés de l’accréditation des certificateurs. En référence à ces trois phases, nous prenons en compte les acteurs de la fabrication de la norme, de la certification, et de l’accréditation (NCA).

Cette recherche s’appuie à la fois sur une revue de la littérature internationale sur les standards, et pour ce qui concerne le secteur du bâtiment, essentiellement sur 18 entretiens effectués majoritairement auprès d’acteurs impliqués dans la normalisation, la certification ou l’accréditation.

Dans un premier temps, nous mettons en évidence, en regard de l’extension de la normalisation en général, non pas un mais deux sous-modèles NCA, dont les mécanismes sont sensiblement différents. Suivant les secteurs concernés, mais aussi suivant les Régions du Monde, les acteurs de la normalisation peuvent être rangés selon l’un ou l’autre des sous modèles schématisés.

Le sous modèle NCA N°1 concerne pour beaucoup l’agriculture biologique ou durable. Des acteurs de la « société civile » (agriculteurs, consommateurs, ONG, …) fabriquent ensemble une norme destinée à différencier tel ou tel produit de son équivalent « commun » (pomme « biologique » par exemple) ; et ces promoteurs/militants de la norme accréditent des certificateurs « indépendants » ou tierce partie pour que ceux-ci attestent, ou pas, de la conformité des produits ou processus de production, à la norme en question. Dans le cadre de ce premier sous modèle NCA, ce sont les promoteurs de la norme qui organisent les rapports avec les autres acteurs de la normalisation, en inventant au cas par cas des règles spécifiques. La réussite de ces initiatives privées se mesure à la seule aune du marché.

Le sous modèle NCA N°2 concerne de son côté plutôt des normes qui visent à homogénéiser les caractéristiques d’un produit ou d’un processus (pour garantir la sécurité des consommateurs par exemple), et est, à l’inverse du précédent, favorisé ou soutenu par les pouvoirs publics, en particulier en Europe. Il promeut, en théorie tout au moins, une séparation stricte entre les activités de fabrication de la norme, de certification, et d’accréditation, cette dernière fonction étant assurée de manière trans-sectorielle, nation par nation, mais avec des accords de reconnaissance mutuelle entre nations, par un organisme unique et indépendant.

Le rapport décrit l’émergence de ces deux sous modèles et schématise leurs différences pour proposer un cadre d’analyse des « acteurs de la normalisation » en particulier dans le secteur du bâtiment.

Le secteur du bâtiment présente plusieurs caractéristiques spécifiques vis-à-vis des secteurs d’activités évoqués précédemment. D’abord, les normes se multiplient dans ce secteur à 3 niveaux distincts mais interconnectés, celui des produits de construction, qui « circulent » sur les marchés, celui des ouvrages (la certification des bâtiments « verts »), et depuis peu, celui des quartiers « durables ». Ensuite, aux normes qualifiant des « objets » s’ajoutent des normes destinées à encadrer des processus (normes de construction) et à qualifier des organisations, voire des individus (artisan éco-responsable par exemple). Enfin, dans ce domaine sans doute davantage que dans d’autres, les pouvoirs publics (Régionaux, locaux et surtout nationaux) soutiennent certaines normes ou certifications, et sont ainsi d’importants acteurs de la normalisation.

Le rapport passe en revue les 3 niveaux indiqués, en s’aidant de la schématisation précédente entre les deux sous modèles NCA. Il en déduit que le niveau des produits de construction, lequel était essentiellement régi au plan Européen par des Directives « Nouvelle Approche en matière d’harmonisation technique et de normalisation » et depuis peu par un Règlement Européen relève du sous modèle NCA N° 2, avec une importante population, assez méconnue d’ailleurs, de « certificateurs » (les Organismes Notifiés), en concurrence sur des marchés organisés par les pouvoirs publics. Il pointe les concurrences et controverses qui agitent davantage le niveau des ouvrages et propose d’en rendre compte à travers la confrontation des « philosophies » et des modes de légitimation respectifs des sous modèles NCA N°1 et 2 : la concurrence à l’international entre le référentiel français « HQE », le référentiel britannique « BREEAM », et le référentiel américain « LEED », et les querelles méthodologiques qui s’expriment entre les promoteurs de chacun de ces référentiels pour la certification de bâtiments « verts » peuvent être analysées à l’aide de cette dualité. Enfin, le rapport amorce la réflexion au niveau, émergent du point de vue de l’émergence de normes nouvelles, des quartiers « durables ».

Outre les pistes de recherches complémentaires indiquées au fil du rapport, sa conclusion propose une interrogation plus générale sur le rôle des pouvoirs publics nationaux dans la promotion de la normalisation et de la certification.

Mots clés : Normalisation, Certification, Accréditation, Europe, développement durable.
Méthode : Consultation de documents réglementaires et techniques. Une quinzaine d’entretiens semi-directifs avec les principaux acteurs français de la normalisation dans le secteur du bâtiment.

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