Projet RITTME : Risques, Territorialisation, Temporalités et Métropoloes

Cette recherche postdoctorale a porté sur les relations risques / territoires et les processus de gestion territorialisée des risques majeurs, notamment en milieu urbain. Elle a été portée par le LabeX Futurs Urbains et s’inscrit à la croisée de trois laboratoires : LATTS sous la direction de Valérie November, LEESU sous la direction de Gilles Hubert (aujourd’hui Lab’Urba) et de José-Frédéric Deroubaix et Lab’Urba sous la direction de Jocelyne Dubois-Maury. Par là, la recherche comportait une dimension expérimentale de travail inter-laboratoires, et a vocation à s’articuler avec les problématiques des acteurs opérationnels.

Contexte :

Dans un contexte généralisé d’urbanisation, voire de métropolisation, et de changement climatique, l’articulation des questions de développement urbain et territorial avec celles des risques, naturels ou technologiques, devient cruciale et les acteurs du développement urbain ne peuvent que difficilement s’y soustraire (Regghezza, 2006, Beucher, 2008). Cette question de la « territorialisation des risques » a notamment été identifiée comme un enjeu majeur pour la métropole parisienne (Beucher, 2007 ; Beucher et Reghezza-zitt, 2008), qui se caractérise par :

– une forte pression foncière et des terrains disponibles souvent situés en zone inondable ;
– un projet métropolitain du « Grand Paris »politiquement très investi. Le projet du Grand Paris Express (consacré aux transports collectifs) notamment va participer à la construction de territoires d’envergure métropolitaine ;
– un contexte institutionnel particulièrement complexe du point de vue des services de l’État, avec des acteurs territoriaux nombreux, puissants et aux intérêts souvent divergents, pris dans des enjeux économiques et politiques tant locaux que nationaux ;
– une mise en discours de la catastrophe possible au travers de la fameuse « crue de 1910 » (occurrence centennale). Une étude de l’OCDE (2014)2 montre que le coût constituerait une véritable catastrophe économique, augmentée par le lent redémarrage en mode dégradé une fois l’inondation terminée.

De nombreux travaux ont permis de creuser les questions de territorialisation, des relations entre urbanisme et prévention des risques et de la façon dont les risques participent à façonner les territoires et réciproquement (Brun et Adisson, 2011 ; Brun et Gache, 2013 ; Daluzeau et al. 2013 ; Meschinet de

Richemond et Reghezza, 2010 ; November 1994, 2004, 2011 ; November et al., 2008 ; Rode 2008, 2009, 2010, 2012). En outre, beaucoup de travaux – académiques et opérationnels – sont actuellement menés pour comprendre comment et sous quelles conditions, il est possible d’innover dans l’aménagement des territoires à risques.

Terrain :

Dans le cadre d’une convention de recherche entre le Labex Futurs Urbains et l’Etablissement Public d’Aménagement ORSA, nous avons pu réaliser notre enquête en partie au sein de l’EPA (dans la sphère exécutive, direction Stratégie), avec un accès facilité aux données et la possibilité d’assister à des réunions autour d’un projet urbain en zone inondable à l’amont de Paris, celui des Ardoines. D’un point de vue méthodologique, on peut parler d’un dispositif de « recherche embarquée2 » : présence dans les murs de l’EPA, observation de réunions, analyse des documents produits par les acteurs du projet, entretiens semi-directifs, ainsi que de nombreuses discussions plus informelles. Cela induit une orientation particulière du regard des chercheurs, qui ont appréhendé le cas étudié en partant de l’Établissement

Public d’Aménagement (EPA), maître d’ouvrage de l’opération étudiée, ce qui n’est pas neutre, quelles que soient les démarches de prise de distance mises en oeuvre. Le matériau recueilli (entretiens, observations, une base de données très riche) on fait l’objet d’une analyse qualitative pour l’essentiel. On notera que le processus dont nous avons cherché à rendre compte n’est pas achevé à ce jour, et que la lecture réalisée dans le cadre du projet n’a pas vocation à clore l’analyse ou à établir un récit définitif des faits. Il s’agit plutôt de mettre à jour un moment particulièrement crucial du projet observé (2013/2014) en le remettant dans son contexte, à partir des éléments dont nous disposons, et qui pourront être opportunément complétés par le suivi du projet sur les années à venir.

Résultats :

Ce cas d’étude s’est avéré, à la fois, exemplaire, puisqu’on y observe des difficultés partagées dans ce domaine, et atypique, puisque le projet dit « résilient » finalement adopté est plus ambitieux « sur le vivre avec l’eau » que le minimum légal, à savoir les prescriptions du Plan de Prévention des Risques Inondation (PPRI). L’analyse de la trajectoire de ce projet nous a permis de :

– pointer certains freins à l’innovation dans l’aménagement des zones inondables ;
– réfléchir à ce que peut recouvrir le terme « résilience » dans un contexte opérationnel ;
– mettre en exergue le pivot grâce auquel une innovation a été possible dans ce cas : l’intégration, au sein de l’arène aménagiste, des problématiques liées à la gestion de crise.

Ce dernier point constitue probablement le principal apport du projet, car il émerge à la croisée de deux champs académique et opérationnel historiquement autonomes et curieusement étanches l’un à l’autre : la prévention des risques par/en aménagement et la gestion des crises.

On observe en effet une disjonction institutionnelle et temporelle des arènes aménagistes et de gestion de crise : à l’exception des maires qui combinent des compétences dans les deux domaines, les acteurs sont différents, tant au niveau de l’État qu’au niveau des collectivités territoriales et des services techniques chargés de mettre en oeuvre ces politiques. Les logiques d’action de ces deux arènes divergent profondément et s’inscrivent dans des temporalités difficilement conciliables (Levin et al., 2007) : l’aménagement, quand il est conçu dans une perspective de développement durable, a pour horizon une centaine d’années, et les projets urbains se développent sur un horizon temporel de 20 à 30 ans a minima. En revanche, le monde de la gestion de crise, même s’il développe des réflexions à moyen terme, est contraint par une temporalité quasi saisonnière. La représentante de la Zone de défense et de sécurité explique par exemple que leur problème concret est d’être le plus opérationnel possible pour cet hiver, puis pour l’hiver suivant. Cette divergence implique des manières de travailler différentes (notamment dans l’instruction des dossiers), et une difficulté réciproque à se saisir des problématiques de chacun.

Dans ce contexte hérité, et relativement peu discuté, notre cas d’étude montre à rebours comment l’argument de l’action et de la gestion de crise peut contribuer à faire bouger les lignes dans un processus d’aménagement. De fait, cet argument a permis de positionner les débats sur un autre registre, et dans une perspective temporelle différente : on réfléchit à l’aménagement dans le long terme d’un espace, mais le futur n’y est plus une figure floue, stable et lointaine. C’est un futur fait d’événements qu’il faudra gérer qui s’invite dans la logique d’action d’aujourd’hui, ce qui met en défaut les limites des différentes arènes : l’aménagement n’est plus sans effet, sans conséquence, sur l’agir futur (la gestion de crise), et la gestion de crise ne peut plus s’imaginer seulement « en plan » hors sol.

In fine, nous avons eu mettre à jour un processus d’intégration (voire d’instrumentalisation) de la question de l’action en situation (au travers de la gestion de crise) dans le processus d’aménagement. Ce phénomène est tout à fait atypique, et semble lié à des enjeux et à des contraintes très spécifiques au territoire concerné ainsi qu’à l’engagement de certains acteurs. Nous sommes donc probablement en présence d’un cas d’espèce, une première dans le contexte francilien, particulièrement intéressant au regard des questions que nous avons soulevées et des réflexions en cours sur la durabilité et l’adaptation (Berdoulay et Soubeyran, 2014) : en faisant de la dépendance des horizons temporels un levier pour l’action – plutôt qu’un problème indépassable – notre cas d’étude ouvre une brèche dans ce qui apparaissait comme un super wicked problem (Levin et al., 2007).

Ces résultats ont donné lieu à deux communications principales, en France et au Québec, ainsi qu’à une publication à paraître en 2016 (Créton-Cazanave, L., J.-F. Deroubaix, G. Hubert, J. Dubois-Maury, V. November. (En révision). “Posibilités et conditions d’émergence d’un “urbanisme résilient” en zone inondable. L’exemple des Ardoines, en Région Parisienne. in Changement climatique et aménagment  urbain (titre provisoire), Ed.: F. Rudolf.)

Mots clefs : Risques majeurs, Territorialisation, Projets Urbain, Action en situation

 

 

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