Ce travail se propose d’interroger le processus de centralisation qui a couru en France entre 1870 (grandes lois décentralisatrices des débuts de la III° République) et 1970 (apogée d’une V° République plus jacobine). En l’espace d’à peine un siècle, les collectivités locales sont en effet passées d’un statut de forces démocratiques nouvelles, porteuses, pour certaines, d’une alternative politique potentielle face à l’Etat central, à une fonction d’ajusteurs, qui tentent de résister au mouvement de centralisation qui n’a cessé de gagner du terrain depuis l’entre-deux-guerres. Ce simple constat, né de la confrontation entre deux dates clés qui délimitent une séquence importante dans l’édification du système politico-administratif français au XX° siècle, est à l’origine et au cœur de la réflexion menée dans le cadre de ce mémoire de HDR. Celui-ci s’intéresse à l’étude des dynamiques intergouvernementales de 1870 au début des années 1970 et à ce que l’on peut considérer comme la lente « fermeture » du jeu institutionnel qui avait été ouvert par la Troisième République. Ce processus n’a finalement guère été étudié dans la longue durée et dans toute sa complexité, tant par les historiens que les politistes. Il est souvent imputé à un vague mouvement d’«étatisation» et de «centralisation», que l’on a coutume d’associer aux changements de régime qui ont affecté la France (passage de la Troisième à la Cinquième République), à un contexte général favorable à l’Etat (conflits mondiaux, crise économique des années 1930, reconstruction et modernisation) ainsi qu’à la consécration d’une logique d’organisation sociale fonctionnelle au détriment d’une structuration territoriale. Sans écarter ces explications globales mais par trop surplombantes, il s’agit ici de se pencher de manière plus fine sur ce processus de recomposition des relations intergouvernementales, en interrogeant le rôle parfois paradoxal qu’ont pu y jouer les pouvoirs locaux.
Pour ce faire, le mémoire s’appuie sur un manuscrit original, objet du second tome, intitulé « L’électricité et les pouvoirs locaux en France (1880-1980). Une autre histoire du service public ». Capitalisant plusieurs travaux de recherche personnels, il propose une lecture inédite de la formation du modèle français de service public de l’électricité, en partant non pas de l’Etat et des différents acteurs ou institutions qui le composent, mais des pouvoirs locaux, lesquels ont joué un rôle important, quoique méconnu, dans le processus de centralisation. Le tome 1 confronte cette histoire singulière à d’autres trajectoires de politiques publiques notamment (action sociale, hygiène et santé, urbanisme…) pour renouveler la lecture historiographique classique sur l’évolution du système politico-administratif français au cours du XX° siècle. Il défend l’hypothèse d’une centralisation à double face, expression d’un jacobinisme à la fois « apprivoisé » par les pouvoirs locaux (thèse traditionnelle des politistes et des historiens) mais aussi les « apprivoisant » (perspective nouvelle mise en évidence par les tomes 1 et 2), esquissant ensuite quelques axes de recherche à caractère programmatique.