Soutenance d’Habilitation à diriger les recherches d’Eric VERDEIL : Ecologie politique des énergies urbaines. Villes sud-méditerranéennes sous tension

Eric Verdeil a soutenu son Habilitation à diriger les recherches le 23 novembre 2015

Lieu: Université Lyon 3, salle Caillemer, 15 quai Claude Bernard, 69007 Lyon

Jury:
Lydia Coudroy de Lille (garant, Université Lyon 2)
Sylvy jaglin (rapporteur, Université Paris Est)
Franck Scherrer (rapporteur, Université Paris Est)
Pierre Signoles (rapporteur, Université Paris Est)
Mona Harb (examinatrice, Université Américaine de Beyrouth)
Ali Bennasr (examinateur, Université de Sfax)

Ce mémoire propose un cadre théorique dérivé de l’écologie politique urbaine, telle que Swyngedouw en particulier la conceptualise, pour aborder les tensions et les reconfigurations des circuits énergétiques urbains. Ce faisant, il poursuit deux objectifs : saisir les mutations affectant les relations entre villes et énergies dans le double contexte du tournant néolibéral, et de la transition énergétique ; évaluer les apports pour les études urbaines et pour les sciences sociales d’une analyse de ces questions à partir de villes du Sud. Les exemples sont principalement pris au Liban, en Jordanie et en Tunisie, ainsi que, secondairement, dans les autres pays du sud et de l’est de la Méditerranée. Le point de départ du raisonnement est une critique et un ajustement des cadres conceptuels dominants dans l’étude des services urbains, en montrant la spécificité des territorialités et des matérialités des circuits énergétiques, en particulier leur extension spatiale transnationale et le fait qu’ils articulent, par-delà des frontières, des circuits de différentes matières, étant ainsi exposés à des vulnérabilités matérielles et politiques d’une toute autre nature que les services urbains locaux (eau, assainissement, déchets). L’écologie politique urbaine des énergies urbaines s’appuie sur quatre points d’entrée : une analyse en termes de métabolisme c’est-à-dire couplant circulation et transformation de matières, d’information, de capitaux et de pouvoir ; une analyse des paysages de l’énergie, faisant droit aux représentations éventuellement conflictuelles qui donnent valeur aux espaces matériels conçus, perçus et pratiqués ; une analyse des cycles énergético-territoriaux, prenant en charge l’identification de temporalités correspondant à des territorialités distinctes, en termes d’échelle et de relations entre acteurs gestionnaires : l’une des hypothèses majeures étant ici celle d’un rescaling des systèmes énergétiques ; une quatrième entrée est consacrée aux pratiques, entendues ici par opposition aux politiques, c’est-à-dire une analyse par en bas des énergies urbaines.

Le premier chapitre analyse le lien entre le contrôle des circuits énergétiques et le déploiement de l’Etat, à partir d’une étude de données statistiques à l’échelle régionale puis à celle de quelques pays, centré sur le cas de l’électrification. Distinguant des politiques d’électrification urbaine et rurales, il souligne l’importance quantitative de l’effort étatique et, en recourant à une approche en termes de biopouvoir et de gouvernementalité, montre sa rationalité politique, qui est une mise sous contrôle de l’espace et des populations.

Le deuxième chapitre met en avant plusieurs facteurs de mises sous tension de ces systèmes énergétiques et de débordement de l’état. Ces mises en tension sont liées à la combinaison d’une très forte demande et de la nécessité afférente d’étendre ces systèmes énergétiques. Cette croissance de la demande, en raison de l’émergence de nouvelles pratiques qui relativisent la division urbain/rural, subvertit le contrôle étatique sur le système énergétique. Les Etats s’exposent ainsi à des pannes matérielles aux conséquences d’autant plus dommageables que les réseaux métaboliques sont imbriqués, et à des dépendances extérieures qui peuvent déstabilisation, financièrement et politiques, les communautés nationales.

Le troisième chapitre s’attache au cas de trois pays en guerre, L’Irak, les territoires palestiniens et le Liban et montre l’articulation entre la guerre et les coupures d’électricité, à la fois conséquence de la perte de souveraineté de l’Etat mais aussi objectif militaire visant à faire plier la souveraineté de l’ennemi sur son territoire, ou à défendre sa propre souveraineté. L’une des grandes particularités de la région est l’émergence de souverainetés énergétiques sub-étatiques (Liban, Irak).

Le quatrième chapitre porte sur les logiques de politisation des questions énergétiques, en examinant un corpus de caricatures. Ces dernières révèlent que les crises énergétiques sont porteuses d’une crainte de disparition de l’Etat mais en même temps révèlent, voire approfondissent les clivages nationaux et disqualifient la classe politique. Cette politisation se joue et se construit largement spatialement, à travers la contestation portant sur les inégalités d’accès aux énergies, comme le révèlent les exemples libanais et égyptien.

Le cinquième chapitre s’attache aux enjeux des réformes tarifaires, soulignant combien les tarifs politiquement régulés vont de pair avec une répartition inéquitable des subventions, en termes sociaux et spatiaux, au bénéfice des classes moyennes et aisées. Mais les tentatives de réformes destinées à corriger ces inégalités font l’objet de vigoureuses protestations populaires, qui alimentent la contestation et même les révoltes qu’ont connu les pays arabes depuis 2011.

Le sixième chapitre présente les politiques néolibérales de l’électricité, d’une part en évaluant la place des arrangements publics privés dans la gouvernance électrique et d’autre part, en analysant l’articulation entre ces réformes du modèle gestionnaire et les nouvelles spatialités dont elles sont porteuses. Alors que la Jordanie fait figure d’élève modèle de la privatisation, la Tunisie illustre une situation de résistance plus marquée où la néolibéralisation s’introduit avec le tournant vers les renouvelables. Le Liban représente un cas paradoxal où le blocage des réformes de libéralisation s’accompagne d’une confortation locale d’acteurs privés actifs dans le domaine de l’électricité.

Le septième chapitre étudie l’introduction de nouvelles technologies énergétiques dans plusieurs villes du sud de la Méditerranée et leur complexe coexistence, à la fois en termes de politiques urbaines et de pratiques des usagers. Sont analysés en particulier les projets de mises en place de filières nucléaires et renouvelables en Jordanie, et l’introduction du gaz naturel et de systèmes de chauffage solaire en Tunisie, à Istanbul et au Caire.

Le huitième et dernier chapitre s’attarde sur diverses pratiques populaires alternatives, et examine la possibilité d’établir un pouvoir alternatif à partir du contrôle de l’intérieur des réseaux énergétiques. Il s’appuie sur les mouvements sociaux des travailleurs de l’électricité au Liban, sur la fraude électrique au Liban et au Maroc et le développement des générateurs électriques au Liban, et les régulations politiques auxquelles elles donnent lieu.

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