Directeurs de thèse : Pascal Ughetto et Mathias Thura
Depuis le milieu des années 1990, les Armées ont été confrontées à des transformations organisationnelles remettant en cause certains paradigmes fondateurs de l’institution militaires française contemporaine. La notion de « revolution in military affairs » s’est imposée pour désigner l’ensemble des restructurations auxquelles ont dut faire face les armées occidentales à cette période : professionnalisation, évolution des missions ou encore Numérisation de l’Espace de Bataille (NEB). Ce champ d’investigation a nourri une abondante littérature, caractérisée par des apports pluridisciplinaires (sociologie, sciences politiques, sciences de la gestion, histoire, etc.) qui illustrent l’intérêt des sciences sociales et de l’institution militaire à l’égard de ces problématiques. Il est admis que la Numérisation de l’Espace de Bataille (NEB) constitue l’une des trois grandes « mutations » qui ont marqué l’armée de Terre depuis une vingtaine d’années (Lebraty, 2010). L’introduction des systèmes d’information et de commandement (SIR, SICF, CITEL) à la fin des années 2000 et leur généralisation dans les régiments au cours des années 2010, a en effet représenté un tournant majeur dans l’équipement militaire et, subséquemment, dans la structuration des armées et les modalités d’accomplissement de l’action militaire (Godet-Sanchez, 2008). Ce mouvement se poursuit alors que les armées sont engagées dans l’élaboration de nouveaux systèmes techniques (Scorpion, Titan) et les réflexions doctrinales attenantes.
Ainsi, à l’instar de divers secteurs d’activité et d’un grand nombre de professions, le domaine militaire n’échappe pas au mouvement parfois dit de « digitalisation » (Bouiller, 2016).Les systèmes d’information et de commandement ou plus récemment l’intelligence artificielle, sont l’objet de nombreuses promesses technologiques, qui pensent pouvoir prédire une révolution dans les finalités auxquelles répondent les armées, dans les équipements militaires et jusque dans les pratiques des soldats. Ce projet de recherche se donne comme but de mieux comprendre les réalités auxquelles correspond cette introduction du numérique dans ses formes les plus récentes, via une problématique de l’activité . La thèse visera à comprendre comment le numérique prend place dans l’activité opérationnelle des régiments, comment il s’insère dans l’écologie générale des instruments dont les militaires font usage et de quelle manière les pratiques combattantes s’en trouvent plus ou moins reconfigurées. Il s’agit de s’intéresser à l’appropriation des nouveaux équipements, aux effets sur les pratiques professionnelles individuelles et collectives, à la transformation éventuelle de ces pratiques et des formes de collaborations et coopérations en milieu opérationnel. Ces travaux entendent ainsi apporter une double contribution : à la connaissance des effets de l’introduction du numérique dans les armées et des changements correspondants ; à une sociologie de l’activité militaire en essor (Jankowski, Thura, Muxel et al., 2021).
La thèse prendra comme objet d’étude précis la numérisation de l’espace de bataille et ambitionnera de répondre à la question suivante : en quoi l’usage, prescrit et réel, des systèmes d’information et de communication dans un cadre opérationnel, concourt à redéfinir « l’activité militaire combattante » (Bardiès, 2011) (pratiques, compétences, rapports hiérarchiques, environnement, etc.) ; et les effets subséquents sur la structuration organisationnelle des groupements tactique de l’armée de Terre. À cet effet nous nous attacherons à réaliser une analyse détaillée de l’activité accomplie, des dimensions visibles ou moins visibles de ce qui est entrepris, de la matérialité du travail et notamment de la manipulation des outils, et un effort de compréhension des pratiques, des gestes, de leur logique, de leur aspect autant individuel que collectif. Plusieurs questions subsidiaires alimenteront ces recherches comme les effets des TIC sur l’autonomie décisionnelle des officiers et les stratégies individuelles pour se soustraire à la dépossession éventuelles de leurs prérogatives traditionnelles ; les évolutions organisationnelles (accroissement du contrôle et du reporting ou maintien d’un niveau constant de subsidiarité) ; les représentations des acteurs quant aux transformations techniques, etc.
Année d’inscription : 2023
Ecole doctorale : Organisation, Marchés et Institutions (OMI)