Directrices de thèse : Valérie November et Nacima Baron
Les bagages abandonnés constituent un problème ancien dans les champs de la production du transport et dans les modèles de gestion des socio-systèmes complexes que sont les gares métropolitaines. Le sujet fait l’objet d’une mobilisation croissante des gestionnaires comme des institutions car l’augmentation des objets dits “délaissés” (non réclamés ni réattribués à leur propriétaire dans un délai de 20 mn) a augmenté de plus de 50 % de 2020 à 2022, conduisant la SNCF à concevoir deux stratégies complémentaires :
– D’une part, une posture d’accompagnement renforcé des voyageurs, par des agents et des outils digitaux (messages en gare, campagnes de SMS, surveillance camera, tracking des bagages à partir de QR codes ou de géolocalisation). Cette posture s’inscrit dans la volonté de déployer de la part du gestionnaire de gare une “surveillance bienveillante” encourageant des comportements individuels fondés sur la vigilance et des interactions permettant la prévention de comportements potentiellement dysfonctionnels ;
– D’autre part, pour la levée de doute des bagages non rendus à leur propriétaire, l’application d’un protocole réglementaire (janvier 2020) à la fois très strict et très perturbant pour la continuité de l’activité (périmètre de sécurité élargi jusqu’à 200 m et évacuation des emprises). Les objets délaissés peuvent être considérés comme autant de “grains de sable” qui entravent le système ferroviaire et fragilisent, de manière systémique, toutes les autres activités périphériques dans les complexes ferroviaires.
Cette double réponse, à la fois préventive et curative, engage des décisions et des expérimentations dans les champs technologique, organisationnel et institutionnel ainsi que dans le domaine de la relation entre l’entreprise et sa clientèle. La thèse questionne donc le continuum de pratiques et de responsabilités qui sont assemblés et négociés autour de ces objets délaissés dans les champs de l’accueil et de l’information, de la gestion des flux, de la sûreté et des services commerciaux.
La thèse se positionne à l’articulation du champ de l’analyse sociotechnique des risques et des crises (LATTS) et du champ de la logistique et des services de mobilité digitaux, en gare (LVMT). Elle s’inscrit dans le material turn en sciences sociales et interroge l’objet selon les pratiques, les relations et les spatialités qu’il engage avec un sujet, et plus largement, avec des acteurs en réseau. Le travail empirique montrera donc les liens encore peu visibles entre, d’un côté, la sur-veillance, souvent considérée comme surplombante et panoptique, et la relation de bien-veillance, partenariale et médiée par des humains et des machines. Elle mettra en regard, sinon en contrepoint, la mutation organisationnelle et institutionnelle qu’opère l’étape de transcription et de traduction du protocole de sécurisation dans les cadres très contraints de la gestion des gares, dans la confrontation de cultures et d’identités professionnelles parfois rivales. L’objectif de la thèse est bien de montrer ce que l’objet délaissé nous apprend sur l’articulation des processus de digitalisation, de sécurisation et de création de valeur à l’œuvre dans les lieux de transport, dans un contexte de profondes réformes institutionnelles (ouverture à la concurrence) et de montée des risques et des incertitudes.